samedi 15 mars 2008

Autobiographie

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(Tiré de : Œuvres créatrices complètes de Claude Gauvreau, Ottawa, Parti pris, 1971 et 1977.)

Je suis né à Montréal le 19 août 1925. J'ai fait mes études primaires au Jardin de l'Enfance, rue Saint-Denis, près de Roy.
Ces années-là, nous passions l'été à Sabrevois dans le comté de Missisquoi. Une poétesse amie de ma mère, Thérèse Bouthillier, nous initia au théâtre, mon frère Pierre et moi. À neuf ans, stimulé par l'influence de Thérèse Bouthillier, j'écrivis ma première pièce de théâtre; Thérèse lui trouva un titre: L'humour américain.
Je devins ensuite élève du collège Sainte-Marie; mais, la situation financière étant alors très difficile à la maison, ces débuts d'études classiques furent chaotiques on ne peut plus. Faute d'argent, je dus manquer une année entière de cours; et , par la suite, en syntaxe, je fus mis à la porte pour avoir composé des dessins et des histoires grivoises destinés à l'amusement de quelques camarades. Je devins alors athée, temporairement.
Je suivis alors les cours privés de Hermas Bastien. Ma méthode, je l'étudiai tout seul. L'année suivante, les jésuites acceptèrent de me reprendre en versification.
Paul Claudel eut sur moi une influence prédominante pendant quelques années et je redevins croyant pour un temps. À quinze ans, je décidai de devenir écrivain pour la vie. J'écrivis alors des poèmes et quelques courtes pièces de théâtre.
Mon frère Pierre devint élève de l'École des Beaux-arts et, par lui, je découvris l'art moderne.
J'allais bientôt faire la connaissance de Borduas.
En rhétorique, je fus représentant du Collège Sainte-Marie au concours oratoire inter-collégial mixte et j'en sortis vainqueur. Cette victoire, qui fut excellente pour mon moral, me permit de rédiger ma première œuvre publiable, Les reflets de la nuit, qui fut le premier objet de ce qui devait s'appeler Les entrailles (1944-1946). J'écrivais mes objets dramatiques et j'en faisais prendre connaissance au fur et à mesure à mon copain Jean Mercier.
L'enseignement jésuite me pesait de plus en plus ; et, petit à petit, ma pensée avait évolué vers le panthéisme.
Le dogmatisme de Claudel était de plus en plus incompatible avec ma sensibilité... et les mythes catholiques incongrus me devenaient de plus en plus insupportables.
On cherchait depuis longtemps à se débarrasser de moi. Une thèse, démontrant l'absurdité de l'Enfer, fut l'occasion de ma deuxième mise à la porte du Collège Sainte-Marie.
J'étais devenu un membre actif du nouveau mouvement «automatiste» (qui ne portait pas encore ce nom).
À l'Université de Montréal, je devins bachelier en philosophie ; et mes études s'arrêtèrent là.
Je vis Borduas de plus en plus et il fut le premier à me faire entièrement confiance sans restriction. Son splendide exemple devait marquer toute ma vie par la suite.
Tour à tour, j'avais connu Fernand Leduc, Jean-Paul Mousseau, Marcel Barbeau, Jean-Paul Riopelle.
En 1947, je montai ma pièce Bien-être avec Muriel Guilbault qui devint sur-le-champ la muse incomparable de ma vie.
Je fus un militant inconditionnel dans la grande bataille «automatiste» en peinture (1946-1954).
En 1948, je fus un signataire conséquent du formidable manifeste de Borduas: Refus global.
En 1949, à la demande du compositeur Pierre Mercure qui était censé le mettre en musique, j'écrivis un opéra: Le vampire et la nymphomane. Cependant, une polémique affreuse dans Le Petit Journal au sujet de ce texte fut cause d'un changement d'attitude de Mercure et la musique de cet opéra ne fut jamais écrite.
Pourtant, la polémique en question m'attira un correspondant, Jean-Claude Dussault, qui était alors élève à l'École Normale. Cette correspondance fut de dix-sept lettres de part et d'autre et j'ai donné par la suite à ma participation à cette correspondance le titre de Dix-sept lettres à un fantôme. Ce fut l'occasion pour moi d'une importante tentative de prise de conscience théorique de ma pensée créatrice.
C'est aussi vers cette époque que je me mis à lire massivement les ouvrages pré-surréalistes et surréalistes.
Par le contact avec des marxistes, j'étais redevenu athée ; une fois pour toutes.
La prise de conscience permise par la correspondance ainsi que la découverte des Vingt-cinq poèmes de Tzara me permirent d'écrire Étal mixte (mon premier recueil de poésie pure).
Par ailleurs, à la demande de Muriel, j'écrivis pour elle des textes radiophoniques que Radio-Canada joua et qu'elle signa. Quelques uns de ces textes atteignirent un grand renom (notamment Le coureur de marathon).
Sur les entrefaites, Guy Gagnon vint me demander de me charger de la critique des spectacles à l'hebdomadaire anticlérical Le haut parleur en remplacement de René Lévesque qui s'était chicané avec le directeur de l'hebdomadaire T.D. Bouchard. Je m'acquittai de cette tâche pendant quelques années... ne quittant le journal qu'à la veille du suicide de Muriel qui fut la tragédie de ma vie.
Le cadavre de Muriel ayant été souillé par d'abjects moralisateurs de diverses disciplines, je me décidai à laver sans réplique possible cette ignominie en écrivant le roman de sa vie tel que je la connaissais : Beauté baroque (1952).
Je m'étais aussi remis à écrire des textes radiophoniques sous ma signature ; le plus important d'alors fut Magruhilne et la vie (qui n'a été joué qu'en 1969 à Studio d'essai).
L'effort de rédaction de Beauté baroque annihila ce qui me restait de forces nerveuses. Aussi, vers la fin de 1952, à la faveur d'une chicane quelconque à domicile (qui n'était que la cause prochaine de cette catastrophe), je devins totalement amnésique.
Je demeurais néanmoins en liberté et continuai à écrire.
En 1953, je rédigeai ma première longue pièce de théâtre : L'asile de la pureté (quatre actes). Jean Gascon me dit d'elle qu'elle était « absolument injouable ».
C'est aussi en 1953 que Borduas m'apprit son départ pour les États-Unis.
En 1954, je décidai d'organiser une exposition de peinture pour regrouper les forces non-figuratives en déroute et je demandai à Borduas de venir de New York pour faire publiquement la sélection des œuvres. Après quelques réticences, il accepta. La matière chante eut donc lieu... et déclencha éventuellement toute une série de polémiques dans lesquelles je me lançai avec tout ce qui me restait de puissance.
L'été suivant, à Saint-Hilaire, je rédigeai un récit d'expériences psychiques intitulé Ni ho ni bat ; en plus des poèmes qui devaient être publiés en 1956 sous le titre de Brochuges. Je composai aussi cet été là un grand nombre de dessins et des textes radiophoniques capitaux. Ce surcroit d'activité masquait cependant l'épuisement. De retour à Montréal, je devins malade au point de devoir être hospitalisé.
De 1955 à 1965, ce fut une série d'hospitalisations entrecoupées de périodes de liberté. Toutefois je demeurai actif comme écrivain tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'hôpital.
En 1955, à partir des contes de Ray Bradbury, je rédigeai des demi-heures radiophoniques intitulées Astéroïde 1313 ; je devais en rédiger treize, mais, après la neuvième, la nécessité de défendre mes pleins droits de citoyen occasionna mon arrestation et mon hospitalisation.
En 1956, à Saint-Hilaire, alors que je croyais devoir mourir avant peu, j'écrivis ma sombre pièce en quatre actes : La charge de l'orignal épormyable.
Il y eut ensuite des textes radiophoniques.
En 1956, ce furent les publications : Sur le fil métamorphose (quatre extraits des Entrailles) et Brochuges. Je tins aussi une exposition de quarante dessins.
Je croyais mon lyrisme tari à jamais, ce qui était une erreur. En 1958, à la faveur de mes rapports avec le peintre Lise Gervais, je trouvai le souffle qu'il fallait pour écrire le télé-théâtre pétulant : Le rose enfer des animaux. On n'accepta pas de le jouer cependant.
En 1958, Janou Saint-Denis monta deux de mes courtes pièces à l'École des Beaux-arts : La jeune fille et la lune et Les grappes lucides.
Une sorte de mésentente avec Borduas, alors à Paris, m'occasionna une profonde dépression. À l'hôpital, je rédigeai trente-neuf textes radiophoniques auxquels j'ai donné le titre de Faisceau d'épingle de verre. Ma mère mourut en 1961.
Lors d'une de mes plus détestables hospitalisations, j'écrivis mes Poèmes de détention.
Vivant seul, je traversai la période la plus noire de ma vie. Une longue hospitalisation suivit.
J'étais à l'hôpital depuis plusieurs mois quand le docteur Lorenzo Morin m'apporta l'Anthologie de la poésie canadienne d'Alain Bosquet, chez Seghers, dans laquelle étaient contenus des extraits de Brochuge ; les propos louangeurs de Bosquet à mon égard me redonnèrent courage. Entre-temps, j'avais rédigé trente-cinq adaptations de théâtre d'avant-garde européen et Radio-Canada consentit à m'en acheter quelques-unes, ce qui me permit de reconquérir ma liberté. Nous étions passés de la négativité à la positivité.
Avant de quitter l'hôpital, cependant, et après la réception du livre de Bosquet, j'écrivis les treize textes qui constituent Automatisme à quatre voix. Le réalisateur Roger Vigneau, qui s'était dit à ma disposition, ne voulut pourtant pas faire jouer ces textes-là.
En liberté, je vécus seul dans un appartement suffisamment spacieux et une vie heureuse commença. Je tentai d'abord de faire accepter une nouvelle série d'originaux radiophoniques, mais ce fut en vain. L'occasion se présenta de travailler comme scénariste à CBFT et je fis ce travail quelques années. Mes relations avec Micheline Beauchemin furent aussi bienfaisantes.
Mais Micheline partit au Japon et mon humeur s'assombrit. À la demande de Serge Lemoyne, je rédigeai une petite pièce de théâtre dont j'ai toujours été fier : L'étalon fait de l'équitation.
En 1965, eut lieu ma dernière arrestation. Ma détention fut courte : et, après, ce fut le beau fixe.
À partir de 1964, j'avais participé à des récitals de poésie ; d'abord au Bar des Arts, puis à l'Association espagnole.
Mon travail de télévision devint finalement impossible et c'est pour le mieux que je me tournai vers la création pure. En 1967, j'écrivis mon recueil de poème intitulé Les boucliers mégalomanes.
À la Bibliothèque nationale, un récital de poésie organisé par Gaston Miron et Georges Dor me valut une sorte de triomphe et un retour à la notoriété. C'est à l'occasion de ce récital que Lucie Ménard eut connaissance de mon existence et c'est par elle, éventuellement, que je pus connaître le merveilleux groupe qui l'entoure... espoir d'un nouvel égrégore authentique.
Ensuite, je participai aux divers spectacles de Poèmes et chansons de la résistance - et une appréciable portion de la population put entrer en contact avec mon écriture.
J'ai ensuite écrit un télé-théâtre, La reprise, qui n'a pas été joué.
Vint ensuite une œuvre capitale : Les oranges sont vertes, pièce en quatre actes.
Les Européens m'ont toujours fait un bon accueil. Après Bosquet, ce fut Jean Rousselot qui m'inclut dans le Dictionnaire de la poésie française du vingtième siècle où ne figurent que six poètes canadiens.
Jacques Larue-Langlois, qui avait commencé par être réticent à l'égard de mon œuvre, finit par m'appuyer fermement. C'est ainsi que des textes radiophoniques de toutes les dates purent être joués à Studio d'essai sous la réalisation de Robert Blondin avec lequel les rapports sont excellents. À ce jour, Blondin m'a joué Le coureur de marathon (nouvelle réalisation), Affaire de taille et Magruhilne et la vie. Il est certain qu'il me jouera dans le futur plusieurs autres textes. J'ai groupé pour la publication en deux livres des textes radiophoniques anciens et relativement récents : Cinq ouïes et L'imagination règne.
Il y a eu l'Opération déclic où mes trois petites pièces publiées dans le Refus global ont été lues en public ; j'y ai moi-même récité de mes poèmes.
La revue Europe a publié quatre de mes poèmes dans son numéro sur la littérature québécoise.
En 1969, la revue La Barre du Jour publia un numéro spécial sur Refus global et j'y ai collaboré largement. Cette collaboration me valut les commentaires flatteurs de René Lacôte dans Les Lettres Françaises.
Récemment, je me suis lancé dans la rédaction d'un recueil de poèmes intitulé Jappements à la lune et j'ai aussi écrit deux étranges textes axés sur la sexualité : Gramahuchée et Le traitement de l'exhibitionniste.
En 1969, j'ai signé un contrat avec les Éditions Parti pris pour la publication de mes Œuvres créatrices complètes en un seul volume. Et ça continue.

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