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(Tiré de : Œuvres créatrices complètes de Claude Gauvreau, Ottawa, Parti pris, 1971 et 1977.)
Je suis né à Montréal le 19 août 1925. J'ai fait mes études primaires au Jardin de l'Enfance, rue Saint-Denis, près de Roy.
Ces années-là, nous passions l'été à Sabrevois dans le comté de Missisquoi. Une poétesse amie de ma mère, Thérèse Bouthillier, nous initia au théâtre, mon frère Pierre et moi. À neuf ans, stimulé par l'influence de Thérèse Bouthillier, j'écrivis ma première pièce de théâtre; Thérèse lui trouva un titre: L'humour américain.
Je devins ensuite élève du collège Sainte-Marie; mais, la situation financière étant alors très difficile à la maison, ces débuts d'études classiques furent chaotiques on ne peut plus. Faute d'argent, je dus manquer une année entière de cours; et , par la suite, en syntaxe, je fus mis à la porte pour avoir composé des dessins et des histoires grivoises destinés à l'amusement de quelques camarades. Je devins alors athée, temporairement.
Je suivis alors les cours privés de Hermas Bastien. Ma méthode, je l'étudiai tout seul. L'année suivante, les jésuites acceptèrent de me reprendre en versification.
Paul Claudel eut sur moi une influence prédominante pendant quelques années et je redevins croyant pour un temps. À quinze ans, je décidai de devenir écrivain pour la vie. J'écrivis alors des poèmes et quelques courtes pièces de théâtre.
Mon frère Pierre devint élève de l'École des Beaux-arts et, par lui, je découvris l'art moderne.
J'allais bientôt faire la connaissance de Borduas.
En rhétorique, je fus représentant du Collège Sainte-Marie au concours oratoire inter-collégial mixte et j'en sortis vainqueur. Cette victoire, qui fut excellente pour mon moral, me permit de rédiger ma première œuvre publiable, Les reflets de la nuit, qui fut le premier objet de ce qui devait s'appeler Les entrailles (1944-1946). J'écrivais mes objets dramatiques et j'en faisais prendre connaissance au fur et à mesure à mon copain Jean Mercier.
L'enseignement jésuite me pesait de plus en plus ; et, petit à petit, ma pensée avait évolué vers le panthéisme.
Le dogmatisme de Claudel était de plus en plus incompatible avec ma sensibilité... et les mythes catholiques incongrus me devenaient de plus en plus insupportables.
On cherchait depuis longtemps à se débarrasser de moi. Une thèse, démontrant l'absurdité de l'Enfer, fut l'occasion de ma deuxième mise à la porte du Collège Sainte-Marie.
J'étais devenu un membre actif du nouveau mouvement «automatiste» (qui ne portait pas encore ce nom).
À l'Université de Montréal, je devins bachelier en philosophie ; et mes études s'arrêtèrent là.
Je vis Borduas de plus en plus et il fut le premier à me faire entièrement confiance sans restriction. Son splendide exemple devait marquer toute ma vie par la suite.
Tour à tour, j'avais connu Fernand Leduc, Jean-Paul Mousseau, Marcel Barbeau, Jean-Paul Riopelle.
En 1947, je montai ma pièce Bien-être avec Muriel Guilbault qui devint sur-le-champ la muse incomparable de ma vie.
Je fus un militant inconditionnel dans la grande bataille «automatiste» en peinture (1946-1954).
En 1948, je fus un signataire conséquent du formidable manifeste de Borduas: Refus global.
En 1949, à la demande du compositeur Pierre Mercure qui était censé le mettre en musique, j'écrivis un opéra: Le vampire et la nymphomane. Cependant, une polémique affreuse dans Le Petit Journal au sujet de ce texte fut cause d'un changement d'attitude de Mercure et la musique de cet opéra ne fut jamais écrite.
Pourtant, la polémique en question m'attira un correspondant, Jean-Claude Dussault, qui était alors élève à l'École Normale. Cette correspondance fut de dix-sept lettres de part et d'autre et j'ai donné par la suite à ma participation à cette correspondance le titre de Dix-sept lettres à un fantôme. Ce fut l'occasion pour moi d'une importante tentative de prise de conscience théorique de ma pensée créatrice.
C'est aussi vers cette époque que je me mis à lire massivement les ouvrages pré-surréalistes et surréalistes.
Par le contact avec des marxistes, j'étais redevenu athée ; une fois pour toutes.
La prise de conscience permise par la correspondance ainsi que la découverte des Vingt-cinq poèmes de Tzara me permirent d'écrire Étal mixte (mon premier recueil de poésie pure).
Par ailleurs, à la demande de Muriel, j'écrivis pour elle des textes radiophoniques que Radio-Canada joua et qu'elle signa. Quelques uns de ces textes atteignirent un grand renom (notamment Le coureur de marathon).
Sur les entrefaites, Guy Gagnon vint me demander de me charger de la critique des spectacles à l'hebdomadaire anticlérical Le haut parleur en remplacement de René Lévesque qui s'était chicané avec le directeur de l'hebdomadaire T.D. Bouchard. Je m'acquittai de cette tâche pendant quelques années... ne quittant le journal qu'à la veille du suicide de Muriel qui fut la tragédie de ma vie.
Le cadavre de Muriel ayant été souillé par d'abjects moralisateurs de diverses disciplines, je me décidai à laver sans réplique possible cette ignominie en écrivant le roman de sa vie tel que je la connaissais : Beauté baroque (1952).
Je m'étais aussi remis à écrire des textes radiophoniques sous ma signature ; le plus important d'alors fut Magruhilne et la vie (qui n'a été joué qu'en 1969 à Studio d'essai).
L'effort de rédaction de Beauté baroque annihila ce qui me restait de forces nerveuses. Aussi, vers la fin de 1952, à la faveur d'une chicane quelconque à domicile (qui n'était que la cause prochaine de cette catastrophe), je devins totalement amnésique.
Je demeurais néanmoins en liberté et continuai à écrire.
En 1953, je rédigeai ma première longue pièce de théâtre : L'asile de la pureté (quatre actes). Jean Gascon me dit d'elle qu'elle était « absolument injouable ».
C'est aussi en 1953 que Borduas m'apprit son départ pour les États-Unis.
En 1954, je décidai d'organiser une exposition de peinture pour regrouper les forces non-figuratives en déroute et je demandai à Borduas de venir de New York pour faire publiquement la sélection des œuvres. Après quelques réticences, il accepta. La matière chante eut donc lieu... et déclencha éventuellement toute une série de polémiques dans lesquelles je me lançai avec tout ce qui me restait de puissance.
L'été suivant, à Saint-Hilaire, je rédigeai un récit d'expériences psychiques intitulé Ni ho ni bat ; en plus des poèmes qui devaient être publiés en 1956 sous le titre de Brochuges. Je composai aussi cet été là un grand nombre de dessins et des textes radiophoniques capitaux. Ce surcroit d'activité masquait cependant l'épuisement. De retour à Montréal, je devins malade au point de devoir être hospitalisé.
De 1955 à 1965, ce fut une série d'hospitalisations entrecoupées de périodes de liberté. Toutefois je demeurai actif comme écrivain tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'hôpital.
En 1955, à partir des contes de Ray Bradbury, je rédigeai des demi-heures radiophoniques intitulées Astéroïde 1313 ; je devais en rédiger treize, mais, après la neuvième, la nécessité de défendre mes pleins droits de citoyen occasionna mon arrestation et mon hospitalisation.
En 1956, à Saint-Hilaire, alors que je croyais devoir mourir avant peu, j'écrivis ma sombre pièce en quatre actes : La charge de l'orignal épormyable.
Il y eut ensuite des textes radiophoniques.
En 1956, ce furent les publications : Sur le fil métamorphose (quatre extraits des Entrailles) et Brochuges. Je tins aussi une exposition de quarante dessins.
Je croyais mon lyrisme tari à jamais, ce qui était une erreur. En 1958, à la faveur de mes rapports avec le peintre Lise Gervais, je trouvai le souffle qu'il fallait pour écrire le télé-théâtre pétulant : Le rose enfer des animaux. On n'accepta pas de le jouer cependant.
En 1958, Janou Saint-Denis monta deux de mes courtes pièces à l'École des Beaux-arts : La jeune fille et la lune et Les grappes lucides.
Une sorte de mésentente avec Borduas, alors à Paris, m'occasionna une profonde dépression. À l'hôpital, je rédigeai trente-neuf textes radiophoniques auxquels j'ai donné le titre de Faisceau d'épingle de verre. Ma mère mourut en 1961.
Lors d'une de mes plus détestables hospitalisations, j'écrivis mes Poèmes de détention.
Vivant seul, je traversai la période la plus noire de ma vie. Une longue hospitalisation suivit.
J'étais à l'hôpital depuis plusieurs mois quand le docteur Lorenzo Morin m'apporta l'Anthologie de la poésie canadienne d'Alain Bosquet, chez Seghers, dans laquelle étaient contenus des extraits de Brochuge ; les propos louangeurs de Bosquet à mon égard me redonnèrent courage. Entre-temps, j'avais rédigé trente-cinq adaptations de théâtre d'avant-garde européen et Radio-Canada consentit à m'en acheter quelques-unes, ce qui me permit de reconquérir ma liberté. Nous étions passés de la négativité à la positivité.
Avant de quitter l'hôpital, cependant, et après la réception du livre de Bosquet, j'écrivis les treize textes qui constituent Automatisme à quatre voix. Le réalisateur Roger Vigneau, qui s'était dit à ma disposition, ne voulut pourtant pas faire jouer ces textes-là.
En liberté, je vécus seul dans un appartement suffisamment spacieux et une vie heureuse commença. Je tentai d'abord de faire accepter une nouvelle série d'originaux radiophoniques, mais ce fut en vain. L'occasion se présenta de travailler comme scénariste à CBFT et je fis ce travail quelques années. Mes relations avec Micheline Beauchemin furent aussi bienfaisantes.
Mais Micheline partit au Japon et mon humeur s'assombrit. À la demande de Serge Lemoyne, je rédigeai une petite pièce de théâtre dont j'ai toujours été fier : L'étalon fait de l'équitation.
En 1965, eut lieu ma dernière arrestation. Ma détention fut courte : et, après, ce fut le beau fixe.
À partir de 1964, j'avais participé à des récitals de poésie ; d'abord au Bar des Arts, puis à l'Association espagnole.
Mon travail de télévision devint finalement impossible et c'est pour le mieux que je me tournai vers la création pure. En 1967, j'écrivis mon recueil de poème intitulé Les boucliers mégalomanes.
À la Bibliothèque nationale, un récital de poésie organisé par Gaston Miron et Georges Dor me valut une sorte de triomphe et un retour à la notoriété. C'est à l'occasion de ce récital que Lucie Ménard eut connaissance de mon existence et c'est par elle, éventuellement, que je pus connaître le merveilleux groupe qui l'entoure... espoir d'un nouvel égrégore authentique.
Ensuite, je participai aux divers spectacles de Poèmes et chansons de la résistance - et une appréciable portion de la population put entrer en contact avec mon écriture.
J'ai ensuite écrit un télé-théâtre, La reprise, qui n'a pas été joué.
Vint ensuite une œuvre capitale : Les oranges sont vertes, pièce en quatre actes.
Les Européens m'ont toujours fait un bon accueil. Après Bosquet, ce fut Jean Rousselot qui m'inclut dans le Dictionnaire de la poésie française du vingtième siècle où ne figurent que six poètes canadiens.
Jacques Larue-Langlois, qui avait commencé par être réticent à l'égard de mon œuvre, finit par m'appuyer fermement. C'est ainsi que des textes radiophoniques de toutes les dates purent être joués à Studio d'essai sous la réalisation de Robert Blondin avec lequel les rapports sont excellents. À ce jour, Blondin m'a joué Le coureur de marathon (nouvelle réalisation), Affaire de taille et Magruhilne et la vie. Il est certain qu'il me jouera dans le futur plusieurs autres textes. J'ai groupé pour la publication en deux livres des textes radiophoniques anciens et relativement récents : Cinq ouïes et L'imagination règne.
Il y a eu l'Opération déclic où mes trois petites pièces publiées dans le Refus global ont été lues en public ; j'y ai moi-même récité de mes poèmes.
La revue Europe a publié quatre de mes poèmes dans son numéro sur la littérature québécoise.
En 1969, la revue La Barre du Jour publia un numéro spécial sur Refus global et j'y ai collaboré largement. Cette collaboration me valut les commentaires flatteurs de René Lacôte dans Les Lettres Françaises.
Récemment, je me suis lancé dans la rédaction d'un recueil de poèmes intitulé Jappements à la lune et j'ai aussi écrit deux étranges textes axés sur la sexualité : Gramahuchée et Le traitement de l'exhibitionniste.
En 1969, j'ai signé un contrat avec les Éditions Parti pris pour la publication de mes Œuvres créatrices complètes en un seul volume. Et ça continue.
samedi 15 mars 2008
dimanche 2 décembre 2007
Révolution à la Société d'art contemporain
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(Publié dans Le Quartier latin, journal étudiant de l'Université de Montréal, le 3 décembre 1946)
Enfin! La peinture canadienne existe. Nous avons peu de poètes, encore moins de compositeurs, mais nous avons des peintres. La Société d'Art Contemporain, à la Dominion Gallery, cette semaine, mérite son nom. Le temps est de moins en moins où la Société prêtait son appellation guerrière à une foule de peintres timorés qui se donnaient ainsi l'impression à peu de frais d'assaillir la civilisation. Une peinture canadienne universelle, comparable à aucune autre par la discipline et par la configuration, a trouvé gîte à la Société. Une peinture agressive, bouleversante. Cette peinture neuve, par la quantité et la qualité de ses apports saillants, légitime le nom de la Société. Elle est contemporaine, cette exposition, contemporaine tout-à-fait. Barbeau, artiste radical, familier du risque, offre aux spectateurs deux étapes de son évolution personnelle: "L'airain apposé sur L'attente" sort directement de la série des aquarelles, tandis que "Vol incrusté" est sa plus récente huile. Il évolue de plus en plus vers un automatisme fougueux et serein. Là sont deux exemples des fortes enjambées par ce peintre, qu'on accuse à la légère de ne pas changer parce que ses tableaux ne sont jamais figuratifs. Les deux émaux de Riopelle sont des oeuvres de la même époque que celles de l'exposition de la rue Amherst, il n'est pas étonnant alors qu'elles aient certains caractères communs avec celles-ci, cela ne dispense pas les spectateurs et les critiques de les juger sur leurs qualités intrinsèques, de voir si elles sont harmonieuses et bien équilibrées. Elles le sont. Riopelle présente également sa plus nouvelle aquarelle; que les spectateurs et les critiques jugent, par ce moyen de comparaison, si ce jeune précurseur se borne à exploiter un filon, s'il est resté au même point. S'ils ne voient pas chez Riopelle de progression dans l'évolution, leur bourde équivaudra à celle du naïf qui se convainc, par primarisme oculaire, que tous les Chinois ont des figures identiques.
Mousseau présente deux travaux de sa période des émaux, on regrette qu'il n'ait pas présenté davantage, mais ces travaux fins, même si l'un d'eux est invisible à cause de sa localisation géographique, seront une excellente épreuve pour la perspicacité sensible des spectateurs car ils sont d'un éclat moins impératif que les oeuvres habituelles de Mousseau. Gauvreau est appelé à un succès plus populaire à cause de la coloration tout accidentelle de ses toiles, qui correspond davantage aux habitudes visuelles des spectateurs. Il n'en est pas moins révolutionnaire. Sa création est spontanée, sans désir préconçu. Ces huiles représentent la première grande réussite de Gauvreau depuis son exil militaire. Que les contemporains de l'inégalable imaginatif, Fauteux, homme qui n'obtient pas ses encres mais qui les crée, me disent s'il existe dans tout l'univers un peintre comparable à Fauteux. La valeur est-elle dans l'unique, dans l'inimitable, ou dans le commun, dans l'"acquérissable"? Fauteux lui aussi a changé, son trait est devenu moins tumultueux, plus raffiné, mais le sentiment est intact. Fauteux n'a pas dégénéré.
Le plus grand peintre canadien, Borduas, présente des oeuvres connues, de dimension assez modeste mais d'une intensité qui ne se camoufle pas. Nul besoin de réflecteurs électriques pour Borduas, la lumière est dans la peinture. Il est égal à lui-même.
Leduc est un peintre farouchement austère, son oeuvre est pétrie de saveur intime. Aucune complaisance, aucun atermoiement. Ce n'est pas un montreur d'ours, et il ne sacrifie rien de sa foi pour atteindre la popularité qui lui est accessible car il sait quelle facilité plait. Si vous êtes très petit, tournez-vous vers le plancher, vous y trouverez Leduc; si vous êtes très grand, tournez-vous vers le plafond, vous y trouverez Leduc; si vous êtes de taille moyenne, tournez-vous vers les coins, vous y trouverez Leduc. Décidément ce veinard de Leduc est omniprésent! un dieu! Il est partout, partout, partout sauf dans la grande salle réservée, comme il se doit dans une exposition pondérée, aux gens respectables. Si on a voulu laisser entendre que la peinture de Leduc était de la peinture pour quadrupèdes, on a remarquablement réussi. Girafe ou chien basset, le compte y est.
Au Salon de l'Automne de Paris, en 1905, les immortels Fauves, groupés ensemble comme des bêtes malfaisantes et compromettantes, avaient été encagés dans une petite salle en arrière de l'exposition. On espérait ainsi par cette manifestation officielle de dédain assurer leur séjour permanent dans les oubliettes; mais, de ce fourgon compact et mal aéré de prisonniers de guerre ou d'enfants de l'Assistance publique, sortit le hurlement explosif qui secoua irréparablement les murs de la bâtisse et réduisit en cendres tout le reste. Le cri du progrès de la pensée, le cri de la révolution, le cri de la vie. Aujourd'hui les Fauves ont eu le temps de s'édenter, les Fauves sont bien sages et bien sociaux, et leurs disciples, animaux domestiques, appliquent des formules codifiées, vestiges distorsionnés de ce que les Maîtres ont conquis dans l'inconnu de la jungle. Et la révolution est ailleurs. Ceux qui veulent du nouveau nouveau, oh du tout-à-fait nouveau, mais du nouveau qui soit exactement semblable à l'ancien, ne seront pas satisfaits de cette évolution. C'est une révolution, alors ce n'est pas une révolution fauve. Ce n'est pas une révolution cubiste, ce n'est pas une révolution surréaliste. C'est une révolution. Les peintres canadiens ont examiné la situation de leur point d'observation, de leur point historique et psychologique, dans leur ambiance, et ce qui leur est sorti du corps est ce qui était nécessaire. Mais là où il y a révolution, il y a les oubliettes.
Qu'importe! Qu'importe que l'extraordinaire tableau gigantesque de Barbeau, qui a besoin d'un recul complet pour être apprécié dans son ensemble, soit entassé dans la plus petite salle imaginable avec un classique Riopelle et un autre grand Barbeau, qui ont besoin de presque autant de recul! Qu'importe que Leduc soit aux extrémités des quatre points cardinaux, que Mousseau balaie le plancher! Le témoignage hurle avec une persistance hallucinante. Peu étonnant que les néo-académiques hétérogènes se serrent les coudes comme des rats apeurés devant l'incendie! En bloc impassible, en un bloc de marbre si on veut, Barbeau, Fauteux, Riopelle, Gauvreau, Borduas, Leduc, Mousseau, imposent à l'histoire l'existence de la peinture canadienne.
C'est un fait inouï, fantastique, incroyable! La vie de la peinture a immigré à Montréal, et, pendant ce temps, les New-Yorkais ne savent sur quel côté se retourner, ils ne foutent rien, et les Parisiens, après l'effort d'accouchement le plus phénoménal de l'histoire de la peinture, sont un peu hagards, leur formation traditionnellement rationnelle d'Européens les fait hésiter devant le seul pas possible et nécessaire dans l'état présent de l'évolution picturale, ils délaient timidement et gauchement un passé glorieux et révolu, ils s'asphyxient de néo-surréalistes, de néo-cubistes, de néo-fauves impotents. Et les Canadiens révolutionnaires, pas les suiveux, pas les importateurs conformistes, ont posé le pas audacieux de la suivante étape d'évolution, le seul possible; après l'admirable expressionnisme géométrique des cubistes, après le révélateur automatisme de pensée des surréalistes, les peintres canadiens vivants, ce qui est dû au seul courage intellectuel car cette évolution était fatale tôt ou tard, ont apporté la spontanéïté stricte d'exécution.
Il y a beaucoup à dire sur cet automatisme d'exécution. Il sera écrit beaucoup. Dès maintenant le fait est colossal. Ce sont les Canadiens qui ont fait ça. Les Canadiens. Eux tout seuls. Et qu'est-ce que font nos bourgeois devant cette vérité foudroyante? Que font nos prétendus porte-drapeaux de la fierté nationale? Où est notre "élite" dans ce festin de réjouissance et de célébration émue? Ah! les pleutres! Les dégueulasses! Ce fait qui devrait leur arracher les cheveux du crâne par son imprévue sensation n'obtient de leur molle complaisance qu'une moue de couventine capricieuse, quand ce ne sont des insultes de dégradés. A l'antipode, je tiens à mettre en relief ici la magnifique compréhension d'un homme intellectuellement alerte et plastiquement sensible: John Lyman. Lyman a compris les jeunes, il les a protégés, il a épousé la révolution picturale, il en est de tout coeur. Merci, Lyman! Merci, jeune Lyman!
Le mouvement des nouveaux jeunes peintres, mouvement qui possède à son point initial la lucidité magistrale de Paul-Emile Borduas, bouscule les habitudes visuelles, des habitudes non pas naturelles mais acquises; la plupart des gens se moquent pas mal qu'une oeuvre soit harmonieuse, que ses plans soient rigoureusement construits, que ses volumes soient en place, que le trait du dessin soit sensible, ils veulent seulement voir l'aspect des objets qu'ils ont déjà vus, ils ne veulent pas qu'on secoue le rythme émotionnel de leurs habitudes; bien sûr, du Rembrandt, quand c'est venu au monde, ç'a déclenché des glapissements indignés de truie, c'était révolutionnaire, mais maintenant qu'on est habitué, on peut voir des choses qui ressemblent à Rembrandt; Matisse ne sentait pas très bon le jour de sa naissance artistique, mais maintenant que l'aspect des oeuvres de Matisse est passé dans les habitudes, on veut voir des toiles qui ressemblent d'aspect aux toiles de Matisse; la même chose arrive pour Picasso. Un phénemène de l'art, que j'étudierai moins superficiellement ailleurs, exige irrémissiblement que la peinture, chez un adulte conscient, pour demeurer vivante doit conserver ses qualités essentielles: la sensibilité plastique et l'unité des volumes, évolue sans cesse, que la discipline qui la gouverne soit portée toujours sur l'accent la plus aigu de l'inconnu actuel, conséquemment que son aspect change indéfiniment; les habitudes visuelles sont sans cesse violentées par les oeuvres qui valent.
Le public, je dois préciser: le public vaguement érudit qui se croit cultivé, s'est toujours hérissé depuis des siècles dès que l'oeuvre vivante nouvelle est apparue. Trop de grands peintres ont été victimes de cette lâcheté. Je crois que ce malentendu, que cette paresse a assez duré. Les oeuvres de Borduas, de Leduc, de Mousseau, de Gauvreau, de Riopelle, de Barbeau, de Fauteux, sont les oeuvres vivantes contemporaines; elles possèdent donc les qualités fondamentales de toute bonne peinture, et ces peintres ont droit d'exiger qu'on les juge sur le terrain spécifique de la peinture. J'affirme que picturalement leurs oeuvres sont inattaquables; je suis à la disposition de tout homme honnête, quel qu'il soit, qui pourra me découvrir dans n'importe laquelle de leurs oeuvres exposées à la S.A.C. (surtout chez les plus contestés: Barbeau, Riopelle) un volume, une couleur, qui ne soit pas à sa place, qu'il me fasse savoir ses découvertes, je le défie de trouver chez les spontanés un défaut de construction. Sans aucune intention de plaisanter, je suis ouvert à toute discussion sur ce sujet.
La Société présente également des travaux récents de John Lyman. La peinture de Lyman n'en est pas une facile à apprécier du premier coup d'oeil. Lyman est sobre, sa coloration est rarement vive, mais on finit toujours par s'émouvoir à la rigueur structurale de ses tableaux. C'est une peinture majestueusement émouvante. Les orfèvreries ferventes de Magdeleine Desroches Noiseux sont uniques si elles ne sont pas révolutionnaires quant à la discipline; d'elles se dégagent une conscience artistique inaltérable et une générosité infinie. Roberts en a beaucoup perdu; ses dernières huiles n'ont rien de la rigueur puissante des aquarelles anciennes qu'il expose également. Mme Gadbois dénote un sens de la décoration très juste, mais ses compositions, jamais renouvelées, apportent peu.
Jeanne Rhéaume, Jacques de Tonnancour, Denyse Gadbois représentent l'académisme fauviste. De Tonnancour est un homme qui a beaucoup de goût, il est raffiné et sûrement très intelligent, mais il a toujours eu trop peur de manquer son coup. Qu'il le veuille ou non, les Beaux-Arts lui collent au corps. Il n'a jamais eu le courage intellectuel de sacrifier sa chère habileté technique. Il a fini par appliquer un système, jamais modifié par crainte d'erreur. Son trait est tout-à-fait égal et insensible; ses couleurs appliquées sans vulgarité, sont uniformes, plates. Aucun relief. Il a fini par devenir un académique. Chez Mme Rhéaume, nous voyons, en particulier, dans ses mollasses formes rouges qu'elle nous impose, des traits vulgaires de la même couleur plus foncée qui sont visuellement deux pouces au-dessus de l'objet qu'ils sont supposés cerner. Non plus sensible, mais plus franc, est l'effort sec de Jasmin. La révélation de l'exposition est le talent délié et frais de Claude Vermette. Vermette a déjà réalisé des tableaux plus fulgurants que ceux-ci, mais ses aquarelles et sa "Tête de Christ" le manifesteront résolument à ceux qui ne le connaissent encore. Nul doute que ce peintre de quinze ans viendra épauler les spontanés déjà fameux. Goldberg a recours à son procédé perpétuel, grand engendreur de couleurs nébuleuses faites pour plaire superficiellement. Lucien Morin, toujours appréciable dans ses harmonies de couleurs, n'en figure pas moins de l'académisme cubiste. Deux Beder transparents, invisibles, ne nuisent pas à l'uniformité du mur. Morisset a déjà présenté des travaux plus rigoureux, mais dans cet entourage, il emprunte visage d'oasis. Bonin, qui vient tout juste de s'échapper de problèmes externes absorbants, saura sans doute s'accorder justice davantage la prochaine fois. Il demeure chez Bonin des qualités authentiques qui ne trompent pas.
Sur les remarquables offrandes expressionistes du sculpteur naïf Tremblay, je m'imposerai le silence présentement car leur intérêt n'est pas éphémère, et j'aurai à en reparler. Je recommande aux visiteurs intéressés de l'exposition de ne passer outre à Tremblay par négligence; il a beaucoup à offrir. Marian Scott expose une couple de ses abstractions systématiquement conçues et systématiquement exécutées, sur un thème donné qui pour les deux est la même silhouette féminine. C'est de la peinture léchée, qui ne peut qu'avoir beaucoup de succès. Mais pourquoi certains critiques, qui reprochent incongrûment à Barbeau et Riopelle de ne pas se renouveler, s'extasient-ils devant ces redites incessantes qui tournent au radotage? Doernbach, Seath, Younger Sutherland, Wiselberg, Mulhstock, représentent, selon des variantes, les anciens Beaux-Arts. Bellefleur est le représentant spirituel de l'académisme des nouveaux Beaux-Arts. De tous ces peintres, intellectuellement les plus réactionnaires végètent, ils n'en ont plus pour longtemps.
Vive la Révolution!
Claude Gauvreau
(Publié dans Le Quartier latin, journal étudiant de l'Université de Montréal, le 3 décembre 1946)
Enfin! La peinture canadienne existe. Nous avons peu de poètes, encore moins de compositeurs, mais nous avons des peintres. La Société d'Art Contemporain, à la Dominion Gallery, cette semaine, mérite son nom. Le temps est de moins en moins où la Société prêtait son appellation guerrière à une foule de peintres timorés qui se donnaient ainsi l'impression à peu de frais d'assaillir la civilisation. Une peinture canadienne universelle, comparable à aucune autre par la discipline et par la configuration, a trouvé gîte à la Société. Une peinture agressive, bouleversante. Cette peinture neuve, par la quantité et la qualité de ses apports saillants, légitime le nom de la Société. Elle est contemporaine, cette exposition, contemporaine tout-à-fait. Barbeau, artiste radical, familier du risque, offre aux spectateurs deux étapes de son évolution personnelle: "L'airain apposé sur L'attente" sort directement de la série des aquarelles, tandis que "Vol incrusté" est sa plus récente huile. Il évolue de plus en plus vers un automatisme fougueux et serein. Là sont deux exemples des fortes enjambées par ce peintre, qu'on accuse à la légère de ne pas changer parce que ses tableaux ne sont jamais figuratifs. Les deux émaux de Riopelle sont des oeuvres de la même époque que celles de l'exposition de la rue Amherst, il n'est pas étonnant alors qu'elles aient certains caractères communs avec celles-ci, cela ne dispense pas les spectateurs et les critiques de les juger sur leurs qualités intrinsèques, de voir si elles sont harmonieuses et bien équilibrées. Elles le sont. Riopelle présente également sa plus nouvelle aquarelle; que les spectateurs et les critiques jugent, par ce moyen de comparaison, si ce jeune précurseur se borne à exploiter un filon, s'il est resté au même point. S'ils ne voient pas chez Riopelle de progression dans l'évolution, leur bourde équivaudra à celle du naïf qui se convainc, par primarisme oculaire, que tous les Chinois ont des figures identiques.
Mousseau présente deux travaux de sa période des émaux, on regrette qu'il n'ait pas présenté davantage, mais ces travaux fins, même si l'un d'eux est invisible à cause de sa localisation géographique, seront une excellente épreuve pour la perspicacité sensible des spectateurs car ils sont d'un éclat moins impératif que les oeuvres habituelles de Mousseau. Gauvreau est appelé à un succès plus populaire à cause de la coloration tout accidentelle de ses toiles, qui correspond davantage aux habitudes visuelles des spectateurs. Il n'en est pas moins révolutionnaire. Sa création est spontanée, sans désir préconçu. Ces huiles représentent la première grande réussite de Gauvreau depuis son exil militaire. Que les contemporains de l'inégalable imaginatif, Fauteux, homme qui n'obtient pas ses encres mais qui les crée, me disent s'il existe dans tout l'univers un peintre comparable à Fauteux. La valeur est-elle dans l'unique, dans l'inimitable, ou dans le commun, dans l'"acquérissable"? Fauteux lui aussi a changé, son trait est devenu moins tumultueux, plus raffiné, mais le sentiment est intact. Fauteux n'a pas dégénéré.
Le plus grand peintre canadien, Borduas, présente des oeuvres connues, de dimension assez modeste mais d'une intensité qui ne se camoufle pas. Nul besoin de réflecteurs électriques pour Borduas, la lumière est dans la peinture. Il est égal à lui-même.
Leduc est un peintre farouchement austère, son oeuvre est pétrie de saveur intime. Aucune complaisance, aucun atermoiement. Ce n'est pas un montreur d'ours, et il ne sacrifie rien de sa foi pour atteindre la popularité qui lui est accessible car il sait quelle facilité plait. Si vous êtes très petit, tournez-vous vers le plancher, vous y trouverez Leduc; si vous êtes très grand, tournez-vous vers le plafond, vous y trouverez Leduc; si vous êtes de taille moyenne, tournez-vous vers les coins, vous y trouverez Leduc. Décidément ce veinard de Leduc est omniprésent! un dieu! Il est partout, partout, partout sauf dans la grande salle réservée, comme il se doit dans une exposition pondérée, aux gens respectables. Si on a voulu laisser entendre que la peinture de Leduc était de la peinture pour quadrupèdes, on a remarquablement réussi. Girafe ou chien basset, le compte y est.
Au Salon de l'Automne de Paris, en 1905, les immortels Fauves, groupés ensemble comme des bêtes malfaisantes et compromettantes, avaient été encagés dans une petite salle en arrière de l'exposition. On espérait ainsi par cette manifestation officielle de dédain assurer leur séjour permanent dans les oubliettes; mais, de ce fourgon compact et mal aéré de prisonniers de guerre ou d'enfants de l'Assistance publique, sortit le hurlement explosif qui secoua irréparablement les murs de la bâtisse et réduisit en cendres tout le reste. Le cri du progrès de la pensée, le cri de la révolution, le cri de la vie. Aujourd'hui les Fauves ont eu le temps de s'édenter, les Fauves sont bien sages et bien sociaux, et leurs disciples, animaux domestiques, appliquent des formules codifiées, vestiges distorsionnés de ce que les Maîtres ont conquis dans l'inconnu de la jungle. Et la révolution est ailleurs. Ceux qui veulent du nouveau nouveau, oh du tout-à-fait nouveau, mais du nouveau qui soit exactement semblable à l'ancien, ne seront pas satisfaits de cette évolution. C'est une révolution, alors ce n'est pas une révolution fauve. Ce n'est pas une révolution cubiste, ce n'est pas une révolution surréaliste. C'est une révolution. Les peintres canadiens ont examiné la situation de leur point d'observation, de leur point historique et psychologique, dans leur ambiance, et ce qui leur est sorti du corps est ce qui était nécessaire. Mais là où il y a révolution, il y a les oubliettes.
Qu'importe! Qu'importe que l'extraordinaire tableau gigantesque de Barbeau, qui a besoin d'un recul complet pour être apprécié dans son ensemble, soit entassé dans la plus petite salle imaginable avec un classique Riopelle et un autre grand Barbeau, qui ont besoin de presque autant de recul! Qu'importe que Leduc soit aux extrémités des quatre points cardinaux, que Mousseau balaie le plancher! Le témoignage hurle avec une persistance hallucinante. Peu étonnant que les néo-académiques hétérogènes se serrent les coudes comme des rats apeurés devant l'incendie! En bloc impassible, en un bloc de marbre si on veut, Barbeau, Fauteux, Riopelle, Gauvreau, Borduas, Leduc, Mousseau, imposent à l'histoire l'existence de la peinture canadienne.
C'est un fait inouï, fantastique, incroyable! La vie de la peinture a immigré à Montréal, et, pendant ce temps, les New-Yorkais ne savent sur quel côté se retourner, ils ne foutent rien, et les Parisiens, après l'effort d'accouchement le plus phénoménal de l'histoire de la peinture, sont un peu hagards, leur formation traditionnellement rationnelle d'Européens les fait hésiter devant le seul pas possible et nécessaire dans l'état présent de l'évolution picturale, ils délaient timidement et gauchement un passé glorieux et révolu, ils s'asphyxient de néo-surréalistes, de néo-cubistes, de néo-fauves impotents. Et les Canadiens révolutionnaires, pas les suiveux, pas les importateurs conformistes, ont posé le pas audacieux de la suivante étape d'évolution, le seul possible; après l'admirable expressionnisme géométrique des cubistes, après le révélateur automatisme de pensée des surréalistes, les peintres canadiens vivants, ce qui est dû au seul courage intellectuel car cette évolution était fatale tôt ou tard, ont apporté la spontanéïté stricte d'exécution.
Il y a beaucoup à dire sur cet automatisme d'exécution. Il sera écrit beaucoup. Dès maintenant le fait est colossal. Ce sont les Canadiens qui ont fait ça. Les Canadiens. Eux tout seuls. Et qu'est-ce que font nos bourgeois devant cette vérité foudroyante? Que font nos prétendus porte-drapeaux de la fierté nationale? Où est notre "élite" dans ce festin de réjouissance et de célébration émue? Ah! les pleutres! Les dégueulasses! Ce fait qui devrait leur arracher les cheveux du crâne par son imprévue sensation n'obtient de leur molle complaisance qu'une moue de couventine capricieuse, quand ce ne sont des insultes de dégradés. A l'antipode, je tiens à mettre en relief ici la magnifique compréhension d'un homme intellectuellement alerte et plastiquement sensible: John Lyman. Lyman a compris les jeunes, il les a protégés, il a épousé la révolution picturale, il en est de tout coeur. Merci, Lyman! Merci, jeune Lyman!
Le mouvement des nouveaux jeunes peintres, mouvement qui possède à son point initial la lucidité magistrale de Paul-Emile Borduas, bouscule les habitudes visuelles, des habitudes non pas naturelles mais acquises; la plupart des gens se moquent pas mal qu'une oeuvre soit harmonieuse, que ses plans soient rigoureusement construits, que ses volumes soient en place, que le trait du dessin soit sensible, ils veulent seulement voir l'aspect des objets qu'ils ont déjà vus, ils ne veulent pas qu'on secoue le rythme émotionnel de leurs habitudes; bien sûr, du Rembrandt, quand c'est venu au monde, ç'a déclenché des glapissements indignés de truie, c'était révolutionnaire, mais maintenant qu'on est habitué, on peut voir des choses qui ressemblent à Rembrandt; Matisse ne sentait pas très bon le jour de sa naissance artistique, mais maintenant que l'aspect des oeuvres de Matisse est passé dans les habitudes, on veut voir des toiles qui ressemblent d'aspect aux toiles de Matisse; la même chose arrive pour Picasso. Un phénemène de l'art, que j'étudierai moins superficiellement ailleurs, exige irrémissiblement que la peinture, chez un adulte conscient, pour demeurer vivante doit conserver ses qualités essentielles: la sensibilité plastique et l'unité des volumes, évolue sans cesse, que la discipline qui la gouverne soit portée toujours sur l'accent la plus aigu de l'inconnu actuel, conséquemment que son aspect change indéfiniment; les habitudes visuelles sont sans cesse violentées par les oeuvres qui valent.
Le public, je dois préciser: le public vaguement érudit qui se croit cultivé, s'est toujours hérissé depuis des siècles dès que l'oeuvre vivante nouvelle est apparue. Trop de grands peintres ont été victimes de cette lâcheté. Je crois que ce malentendu, que cette paresse a assez duré. Les oeuvres de Borduas, de Leduc, de Mousseau, de Gauvreau, de Riopelle, de Barbeau, de Fauteux, sont les oeuvres vivantes contemporaines; elles possèdent donc les qualités fondamentales de toute bonne peinture, et ces peintres ont droit d'exiger qu'on les juge sur le terrain spécifique de la peinture. J'affirme que picturalement leurs oeuvres sont inattaquables; je suis à la disposition de tout homme honnête, quel qu'il soit, qui pourra me découvrir dans n'importe laquelle de leurs oeuvres exposées à la S.A.C. (surtout chez les plus contestés: Barbeau, Riopelle) un volume, une couleur, qui ne soit pas à sa place, qu'il me fasse savoir ses découvertes, je le défie de trouver chez les spontanés un défaut de construction. Sans aucune intention de plaisanter, je suis ouvert à toute discussion sur ce sujet.
La Société présente également des travaux récents de John Lyman. La peinture de Lyman n'en est pas une facile à apprécier du premier coup d'oeil. Lyman est sobre, sa coloration est rarement vive, mais on finit toujours par s'émouvoir à la rigueur structurale de ses tableaux. C'est une peinture majestueusement émouvante. Les orfèvreries ferventes de Magdeleine Desroches Noiseux sont uniques si elles ne sont pas révolutionnaires quant à la discipline; d'elles se dégagent une conscience artistique inaltérable et une générosité infinie. Roberts en a beaucoup perdu; ses dernières huiles n'ont rien de la rigueur puissante des aquarelles anciennes qu'il expose également. Mme Gadbois dénote un sens de la décoration très juste, mais ses compositions, jamais renouvelées, apportent peu.
Jeanne Rhéaume, Jacques de Tonnancour, Denyse Gadbois représentent l'académisme fauviste. De Tonnancour est un homme qui a beaucoup de goût, il est raffiné et sûrement très intelligent, mais il a toujours eu trop peur de manquer son coup. Qu'il le veuille ou non, les Beaux-Arts lui collent au corps. Il n'a jamais eu le courage intellectuel de sacrifier sa chère habileté technique. Il a fini par appliquer un système, jamais modifié par crainte d'erreur. Son trait est tout-à-fait égal et insensible; ses couleurs appliquées sans vulgarité, sont uniformes, plates. Aucun relief. Il a fini par devenir un académique. Chez Mme Rhéaume, nous voyons, en particulier, dans ses mollasses formes rouges qu'elle nous impose, des traits vulgaires de la même couleur plus foncée qui sont visuellement deux pouces au-dessus de l'objet qu'ils sont supposés cerner. Non plus sensible, mais plus franc, est l'effort sec de Jasmin. La révélation de l'exposition est le talent délié et frais de Claude Vermette. Vermette a déjà réalisé des tableaux plus fulgurants que ceux-ci, mais ses aquarelles et sa "Tête de Christ" le manifesteront résolument à ceux qui ne le connaissent encore. Nul doute que ce peintre de quinze ans viendra épauler les spontanés déjà fameux. Goldberg a recours à son procédé perpétuel, grand engendreur de couleurs nébuleuses faites pour plaire superficiellement. Lucien Morin, toujours appréciable dans ses harmonies de couleurs, n'en figure pas moins de l'académisme cubiste. Deux Beder transparents, invisibles, ne nuisent pas à l'uniformité du mur. Morisset a déjà présenté des travaux plus rigoureux, mais dans cet entourage, il emprunte visage d'oasis. Bonin, qui vient tout juste de s'échapper de problèmes externes absorbants, saura sans doute s'accorder justice davantage la prochaine fois. Il demeure chez Bonin des qualités authentiques qui ne trompent pas.
Sur les remarquables offrandes expressionistes du sculpteur naïf Tremblay, je m'imposerai le silence présentement car leur intérêt n'est pas éphémère, et j'aurai à en reparler. Je recommande aux visiteurs intéressés de l'exposition de ne passer outre à Tremblay par négligence; il a beaucoup à offrir. Marian Scott expose une couple de ses abstractions systématiquement conçues et systématiquement exécutées, sur un thème donné qui pour les deux est la même silhouette féminine. C'est de la peinture léchée, qui ne peut qu'avoir beaucoup de succès. Mais pourquoi certains critiques, qui reprochent incongrûment à Barbeau et Riopelle de ne pas se renouveler, s'extasient-ils devant ces redites incessantes qui tournent au radotage? Doernbach, Seath, Younger Sutherland, Wiselberg, Mulhstock, représentent, selon des variantes, les anciens Beaux-Arts. Bellefleur est le représentant spirituel de l'académisme des nouveaux Beaux-Arts. De tous ces peintres, intellectuellement les plus réactionnaires végètent, ils n'en ont plus pour longtemps.
Vive la Révolution!
Claude Gauvreau
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